LITTÉRATURE

Confessions d’un grand romancier, Umberto Eco

Existe-t-il une recette magique pour confectionner un bon roman ? Sûrement pas, mais des stratégies peuvent tout de même aider le jeune –ou moins jeune– romancier à faire tenir l’ensemble de son histoire sur ses deux pieds. Umberto Eco, romancier accompli de 81 ans, nous en livre quelques unes dans les Confessions d’un jeune romancier.

Umberto Eco  vers le début des années 1960.

Umberto Eco vers le début des années 1960.

Fruit d’un cycle de quatre conférences tenues à Harvard en 2011, ce livre revient sur la réflexion d’un homme reconnu pour ses divers travaux universitaires et ses essais balayant l’esthétique médiévale jusqu’à la linguistique, en passant par la philosophie. Bref, vous l’aurez compris, nous avons à faire à une pointure.

Son premier conseil tient en cette règle latine  : « Rem tene, verba sequentur » qui signifie « Tiens ton sujet, les mots suivront ». Bien définir son sujet, le maîtriser, voici la base de tout écrit, hormis les écrits poétiques, comme le mentionne cet érudit d’origine italienne, car dans la poésie, l’inverse se produit : les sons transportent les idées qui prennent peu à peu corps dans une logique qui les relie Pour le genre romanesque, l’univers doit être précis, ne laisser aucune ambiguïté inutile à l’écrivain, cet « auteur créatif ». De la crédibilité de l’espace s’en suivra celle des mouvements des personnages. Portant un soin extrême à cela, l’auteur nous raconte ses années de recherches et de croquis dans le seul but de préparer le terrain de ses futures histoires. Dans le même temps, l’aspirant romancier doit bien évidemment se renseigner avec minutie sur les particularités dont il souhaite affubler ses personnages et lieux (métiers, pays…). Ce travail laborieux montre bien qu’un roman ne s’écrit pas sous le coup d’une subite illumination. « Le génie est fait de dix pour cent d’inspiration et de quatre-vingt-dix pour cent de transpiration » rappelle le philosophe.

Ainsi il faut s’imposer des contraintes d’écritures, à savoir, définir une période historique, un rythme à l’histoire, qui lui permettront de se poursuivre et s’épanouir. Pour exemple, Umberto Eco revient sur son célébrissime Nom de la rose -roman qui se passe au Moyen Age dans une abbaye- et dévoile sa trame narrative, son rythme ; les sept trompettes de l’Apocalypse. De ces contraintes doit naître, dans un bon roman, ce que l’auteur nomme « l’élan du Désir », c’est à dire que cet apparent labyrinthe contrariant l’accès à l’intrigue principale doit amener dans un même mouvement le personnage de l’histoire et le lecteur au désir commun de voir avancer l’intrigue. Le rôle du lecteur est alors mis en lumière : il n’est plus « passif » dans sa lecture, mais prend part au contraire à l’aventure par divers chemins. Le premier est celui de la lecture simple de l’histoire telle qu’elle se présente, mais le point d’orgue est ensuite porté sur ce qui alimente le texte en lui-même, ces ruelles obscures de l’entendement où le véritable sens du roman se dissimule. Ces clés, puisqu’il s’agit alors véritablement d’une course aux indices, ne sont repérables que pour une poignée de lecteurs ; non pas qu’il faille voire ici de l’élitisme, au contraire : un lecteur passionné par l’histoire, n’arrivant pas à saisir le « mystère » entretenu par l’auteur, ira de lui-même approfondir ses lectures personnelles afin d’entrevoir la « trame sémiotique » tendue par l’écrivain. La complicité entre auteur et lecteur est alors à son comble. Umberto Eco nomme cela le « double discours » ; pensez simplement aux nuances langagières et à l’intertextualité, et vous aurez saisi le concept !

Autre pacte passé avec le lecteur, celui de la confiance en l’univers du romancier qui présente une conception différente du faux et du vrai –thème de prédilection d’Umberto Eco, étant lui-même fasciné par tout ce qui relève de la falsification– mais ré-exploite souvent des objets du monde réel, au point d’en faire ce que le philosophe nomme « un monde fictionnel parasitaire du monde réel ». En clair, la frontière entre ces deux univers ne tient qu’à quelques différences, et ce flou permet au lecteur de plonger au cœur de l’histoire grâce aux émotions ressenties par les personnages de fictions, ces « possibles » si semblables à ceux peuplant le réel. Un phénomène qu’analyse de même Umberto Eco est celui du personnage dit « fluctuant », ces visages de fiction qui traversent la littérature et peuvent presque être appelés «  personnages types ». On compte parmi eux les héros des mythes et légendes : Robin des Bois, Hamlet ou encore Superman. L’imaginaire du romancier est alors habité par cet imaginaire commun, mais toute la force de son roman tient à la charge de réalisme teintant son histoire, sa fiction d’un monde, qui, semblable à celui où nous évoluons, se doit d’être incomplet.

Ultime confession qui vous sera délivrée dans cet article, l’exercice de la « liste poétique ». Qu’est-ce-donc ? Tout simplement un relevé de ce qui inspire : phrase, couleur, forme, son… tout le panel sensoriel est ouvert, à vous de collecter les informations qui seront susceptibles d’êtres réutilisées un jour dans un roman. Cette source d’inspiration s’inscrit dans l’optique de la liste infinie, un peu comme la fin ouverte des écrits de fictions présentée par Umberto Eco dans son essai, l‘Oeuvre ouverte, en 1965.

Accessible à un étudiant en lettres jusqu’aux aficionados de la littérature, cette démythification du travail de l’écrivain aide à percer un peu le mystère de l’écriture romanesque. Ne reste aux futurs auteurs qu’à inventer leurs propres repères et critères pour étoffer cette trame que nous délivre avec brio Umberto Eco. Nous vous conseillons donc de vous pencher un peu sur cet ouvrage qui recèle encore maintes réflexions !

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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