CINÉMA

Amour de Haneke

Nous avons vu Amour à l’affiche des cinémas, puis sous les projecteurs à Cannes, et nous ne tarderons plus à voir le frêle visage d’Emmanuelle Riva sur les pochettes de DVD. Ce nouveau film de Haneke est donc à l’honneur et mérite que l’on s’y attarde.

Amour est, à mon sens, un film qui va bien au-delà de l’image qu’il donne de lui-même. On parlait d’un film sur le vieillissement, d’un film sur l’amour qui perdure ou non … C’était sans compter sur son réalisateur : Michael Haneke. Pas inconnu, on le connaît habituellement pour son univers tranchant, son sadisme et sa façon de mettre en scène la manipulation humaine. Amour, loin d’être si sombre, reste tout de même profondément troublé et troublant. Il est de ces films où une fois l’écran noir rétabli, tout le monde reste figé sur son siège, comme stoppé net. On réfléchit, on essaye de saisir tous ce qu’on a eu sous les yeux …

Ce film est terriblement humain. Durant quelque temps nous partageons la vie de ces deux octogénaires : George et Anne. Cela nous rappelle à notre condition d’homme : inconditionnellement vieillissant et fragile. En effet dans ce huis clos d’une vie paisible, on apprend rapidement qu’Anne se trouve mal en point. Emmanuelle Riva, qui joue Anne, a vraiment su montrer la complexité de cette femme si fière. Anne qui a été une grande professionnelle du piano, a en elle beaucoup de dignité. Vous comme moi, nous avons tendance à nous définir par notre liberté, par nos liens sociaux, par le fait de communiquer, mais quand on perd tout peu à peu que reste-t-il ? C’est là que Emmanuelle Riva mérite le plus son Oscar, rien que par le regard elle réussit à nous faire voir toute cette détresse et à nous bouleverser. Haneke aborde un sujet tabou ici : l’angoisse de vieillir, l’angoisse d’entacher notre image.  A notre époque la vie ne se conçoit que comme jeunesse. Au début du film ce couple malicieux, amoureux et complice reflète cette idée : en mangeant comme d’habitude à leur petite table de cuisine Anne lance à Georges « Tu ne vas quand même pas malmener ton image sur tes vieux jours ! », alors qu’il raconte une histoire de jeunesse, et celui-ci répond en rigolant « Ah, je m’en garderai bien … ». Il semble alors que seul l’amour puisse perdurer et même peut-être par-dessus tout. Il peut nous faire faire des choses bien folles. Après tant d’années, ce merveilleux duo joué par Jean-Louis Trintignant et Emmanuelle Riva, va donc traverser avec amour toutes les complications.

Comme nous l’avons dit tout ceci se passe à huis clos avec cinq personnages dont trois plutôt épisodiques. La camera nous présente les personnages comme un tableau, une pièce de théâtre, avec très peu de longs plans. Les mouvements de caméra se résument à suivre Georges au sein de leur appartement bourgeois de Paris. La caméra montre aussi un personnage puis l’autre dévoilant ainsi les jeux des regards, des dialogues ou au contraire des silences. Parfois les plans se morcèlent et deviennent saccadés, par exemple la nuit défile et après un rapide retour au noir c’est une autre journée qui commence ; c’est le temps, la vie qui passe sous nos yeux. L’univers se restreint peu à peu. Ainsi la première scène se passe dans un théâtre puis le film s’enferme dans l’appartement et enfin plus que dans quelques pièces. C’est oppressant. Haneke joue alors avec le spectateur. Il faut que l’on sente cette angoisse, mais il faut aussi pouvoir maintenir l’intérêt. Quand la tension devient trop forte il opère des relâchements, des bouffées d’espoir sur l’état d’Anne ou bien des instants où l’on peut s’évader et pour cela il utilise l’art. Il filme des tableaux, de façon vraiment originale, on ne sort pas de l’appartement et pourtant on respire enfin avec de grands espaces. De même pour la musique qui nous transporte et nous fait oublier. Un peu comme on le fait au quotidien avec notre musique, mais le faire passer au cinéma est formidable en soi.

Finalement toute la révélation de ce film est dans sa chute. Il peut réellement émouvoir car c’est techniquement et humainement beau. Je vous invite vraiment à le voir. Je préviens tout de même que ce n’est pas un film d’action ou un film où le plaisir est immédiat … C’est-à-dire que celui-ci vient avec le recul et la réflexion. C’est un film qui nous amène à réfléchir et à se confronter à ses peurs, ce qui n’empêche pas des moments de réels divertissements. Mais selon moi c’est avant tout une grande leçon humaine, à double tranchant.

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