LITTÉRATURE

Lemony Snicket, le retour

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L’auteur Lemony Snicket vous rappelle-t-il quelque chose ? En creusant au fond de votre enfance, peut-être vous souvenez-vous de l’auteur énigmatique de la série Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire. Oui, cette série en treize volumes où il arrive toutes les malchances possibles à trois enfants intelligents, qui au fil des tomes plonge dans une complexe intrigue mêlant sucrier, dossier confidentiel, chauffeur de taxi, initiales louches et incendies, le tout dans une esthétique gothique victorienne rappelant presque Burton. Marquantes par leur marginalité que l’on retrouve à travers une absence de morale, de fin heureuse, de magie et de rationalité, ces Désastreuses Aventures ont su se faire une place dans la littérature de jeunesse, bien qu’une lecture trop souvent au premier degré et une traduction infantilisant l’oeuvre leur ait fait perdre une certaine crédibilité. Ces Désastreuses Aventures peuvent aussi vous rappeler l’adaptation cinématographique très libre mais dans l’ensemble réussie des trois premiers volumes, où la présence de Jim Carrey, Meryl Streep et Jude Law a permis à cette série de se faire connaître davantage.

Et derrière cette série, il y a le pseudonyme Lemony Snicket. Un simple pseudonyme au départ, avant que sans apparaître directement, Lemony Snicket devienne un véritable personnage : on a affaire à son frère et sa soeur, on le voit dans des photographies, et on finit petit à petit par comprendre son importante place. C’est d’ailleurs, outre les éléments cités plus haut, le stylé acéré de Snicket qui rend la série si particulière. En narrateur, il emplit les pages de pessimisme et de cynisme, et conjure le lecteur d’interrompre sa lecture tant elle contient des éléments effroyables. Et ceci tout en égarant souvent ses pensées vers une certaine Beatrice, dont on ne comprendra le lien avec l’intrigue que dans la dernière page du dernier ouvrage.

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Ainsi, une fois le dernier tome des Désastreuses Aventures clôt, il est difficile de ne pas s’être attaché au personnage de Lemony Snicket, et de ne pas être un peu triste de ne plus avoir de livres aussi originaux à se mettre sous la dent. Certes, Daniel Handler, l’homme derrière Lemony Snicket, nous a délivré bien d’autres romans (pour adultes cette fois). Le recueil de nouvelles L’Amour adverbe par exemple, nous interpelle car il est aussi complexe que la série. Le Cercle des Huit, lui, est un roman particulièrement trash où la narratrice (une ado dérangée et sanguinaire) a une façon de s’exprimer presque aussi déconcertante que Mr Snicket. Mais ces romans ne nous font pas oublier l’écrivain fictif de l’histoire des orphelins Baudelaire. Après de nombreuses rumeurs, Daniel Handler a bel et bien repris la plume de Snicket avec la série All The Wrong Questions (toutes les mauvaises questions) et un premier volume Who Could That Be at This Hour ? (qui cela pourrait-il être à cette heure ?) paru le 23 octobre dernier. Ayant le livre entre les mains, je peux déjà vous dire de quoi il en retourne en attendant une traduction française .

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Le récit se déroule bien avant les Désastreuses Aventures, puisque Lemony n’a dans ce livre que 13 ans. Nous y décelons donc une différence nette dans sa façon d’écrire. Bien plus jeune, et cette fois-ci narrateur de sa propre histoire, il est alors beaucoup moins pessimiste et fataliste que dans les précédentes oeuvres. Nous retrouvons cependant petit à petit, et avec grande joie, les particularités qui font que les romans de Lemony Snicket sont uniques, ne serait-ce que dans les images ironiques utilisées. Ensuite, au fil des pages, nous renouons avec de nombreux éléments que l’on avait presque oubliés : une ville, une certaine organisation, des personnages et un mystère que l’on avait laissé en suspens. (je n’en dirai pas plus…) L’auteur ne se contente pourtant pas de réutiliser les éléments ayant fait son succès. Des personnages complètement inédits apparaissent et sont tout aussi attachants que les anciens, avec des traits de caractère toujours particuliers et des noms rarement choisis au hasard. Le cadre mit en place est sans doute l’un des éléments les plus réussis : une petite ville terne vidée de la mer qui l’entourait, où tout est triste, sans couleurs et où la seule activité est l’exploitation cruelle de l’encre de poulpes. Tout est mis en place pour créer une atmosphère malsaine et glauque, et délaissant l’esthétique victorienne de sa précédente série, Snicket nous plonge tout droit dans les décors d’un vieux polar en noir et blanc. A ce vieux polar est bien sûr associée une intrigue policière assez bien ficelée, derrière laquelle un personnage à l’allure inquiétante se dessine progressivement. Quant aux références culturelles, l’un des points forts des Désastreuses Aventures, elles s’élargissent avec des clins d’oeil au jazz et aux films noirs sans délaisser la littérature tant vénérée par Lemony (Roald Dahl ou le Seigneur des anneaux comme il a 13 ans seulement).

thesnicketfile.tumblr.com (par Seth)

Cette nouvelle série nous permet donc de renouer avec tout ce qui crée la particularité du style snicketien, du “culte à la culture” jusqu’au monde complexe et incertain dont lequel on baigne. Six ans après La Fin, Daniel Handler a cependant voulu nous faire découvrir une nouvelle facette de son univers, en utilisant un rythme et des couleurs totalement inédites, que l’on peut préférer ou non à la série originelle. La traduction française n’est donc pas à manquer, pour ceux qui voudraient retrouver l’un des auteurs les plus excentriques de leur enfance, ou simplement ceux qui auraient envie de découvrir un écrivain si particulier.

Toulousain curieux, accro aux bouquins, à la musique, à la sauce piquante des pizzas.

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