LITTÉRATURE

Monsieur Teste

    Paul Valéry redouté par certains pour la complexité de sa pensée, livre dans Monsieur Teste un exemple concret de ses cheminements mentaux. Parut pour la première fois dans la Revue du Centaure en 1896 , cet essai qu’il publia à 25 ans servit de fil rouge au restant de sa carrière. Ne recherchant pas obligatoirement la gloire, ce jeune homme foudroyé par sa fameuse ‘‘Nuit de Gênes” durant laquelle le spectacle d’un orage particulièrement violent  l’aurait bouleversé spirituellement et aurait remit en cause son approche de l’existence, se pencha sur un dessein bien plus complexe, celui qui consiste à la compréhension de l’être. Et par où commencer si ce n’est par l’endroit où se forment les idées ? ! Ainsi cet essai part littéralement de la tête, soit ”teste” en ancien français, pour devenir le « testis », soit le « témoin » de la réflexion d’un être hors du commun dans son appréhension du monde. Son héros principal  nommé ”M.Teste” y est très clairement défini tel un personnage « impossible » par son auteur dès l’introduction qui précède le texte intitulé La soirée avec monsieur Teste.

    Impossible, impossible, mais pourquoi donc ? Paul Valéry éclaire son lecteur en mentionnant « C’est son âme que cette question ! Elle vous change en M.Teste. Car il n’est point autre que le démon de la possibilité » En somme ce personnage qui en vient à se décrire, dans un supplément intitulé Quelques pensées de M.Teste, de cette sorte, « Je suis l’instable », est une représentation abstraite de l’homme qui ne saurait être réelle puisque qu’il n’est jamais clairement défini. En d’autres termes, Valéry construit son personnage principal, qui tout au long de l’essai est observé et décrit par un narrateur invisible, autour d’un système appelé « un crible machinal » répartissant en deux catégories les choses peuplant le monde, soit les choses possibles, et celles impossibles. Usant de ses facultés intellectuelles pour s’orienter dans cet environnement à l’apparence froid et formel où les contingences prévales aux passions, M.Teste peut ainsi sembler terne, mais  cache en réalité la recherche d’un équilibre parfait  entre les situations et les attitudes à adopter. Démarche qui obsédera Paul Valéry durant toute sa carrière.

    Fort de ses dix-huit pages, ce livre donne néanmoins un aperçu de la machinerie intérieure de l’intelligence. Utilisant les mots dans un sens très personnel, l’auteur essaie ici de palier à l’insuffisance de la langue, au manque de termes exprimant véritablement l’idée, et explique qu’une telle tentative de définition de la « mythologie intellectuelle » justifie « l’emploi, sinon la création, d’un langage forcé, parfois énergiquement abstrait ». Cette approche quasiment légendaire de l’entendement nous plonge premièrement dans une situation banale, celle qui consiste à se rendre au théâtre pour assister à la représentation d’une pièce, mais évidemment cela ne saurait être aussi normal pour M.Teste. Portant son attention non sur le spectacle, mais sur les êtres amassés dans la salle, cet observateur accompagné par le narrateur mystérieux, fait part de son approche quand au monde. Lui, n’est pas un être qui se repait intellectuellement afin de connaître ce monde, mais au contraire, il cultive l’état d’appréhension continu des choses et se transforme en « homme de verre », se dédoublant à chaque nouvelle situation jusqu’à se construire un véritable arsenal de personnalités, ce qui sera fidèlement illustré par Alving Lusting qui croqua cet être aux mille visages, toujours flous, pour la première de couverture de l’ouvrage (voir ci-dessous). L’adaptabilité étant le maitre mot de la pensée Testienne, l’enseignement à tirer de cet ouvrage est qu’il convient de garder en mémoire ce qui servira plus tard pour évoluer en accord avec son environnement. Voilà le but de cet homme qui tend à comprendre sans percevoir mettant au rebut son corps biologique et laissant le champs libre aux sphères mentales.

Monsieur Teste par Alving Lusting

    Unique en son genre, cet essai, qui malgré toutes les dénégations de son auteur met en parallèle la personnalité de son personnage principal et celle de Paul Valéry, a semblé pour les lettrés d’alors être un autoportrait du jeune écrivain, fait qui n’aura pas échappé à Borges qui rendit un hommage à Paul Valéry à sa mort en déclarant qu’il était “…un homme qui, dans un siècle où l’on adore les idoles du sang, de la terre et de la passion, a toujours préféré les plaisirs lucides de la pensée et les secrètes aventures de l’ordre“, ce qui s’accorde en tout point à la figure de l’insaisissable monsieur Teste.

    Si vous plongez dans un livre court, certes, mais dense en concept, ne vous effraie pas, Monsieur Teste est l’oeuvre qu’il vous faut pour faire fonctionner vos méninges. Et qui sait, peut être percerez-vous vous aussi les mystères de la conscience et de l’intelligence !

Maître ès lettres. Passionnée par la littérature et les arts | m.roux@mazemag.fr

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