CINÉMA

Lettre d’amour à Martin Scorsese

 

Cher Monsieur Martin Marcantonio Luciano Scorcese,

Je vous aime.

 

N’y allons pas par quatre chemins, ni par six, ni même par douze, surtout que tous les chemins mènent à Rome, et cette citation vous convient aussi bien que votre barbe dans vos jeunes années. En effet, né de parents siciliens le 17 novembre 1942, vous avez vécu toute votre jeunesse au sein de Little Italy, à New-York. Tiraillé entre deux cultures et deux pays, le souci de l’identité deviendra récurrent dans vos films, comme dans Les Infiltrés (2006) récompensé à trois reprises, Meilleur Scénario Adapté, Meilleur Réalisateur et Meilleur Film. Le synopsis est le suivant : Billy Costigan (Léonardo DiCaprio), immigré irlandais, endosse le rôle de taupe au sein d’un gang pour le compte de la police tandis que parallèlement, Colin Sullivan (Matt Damon), américain “natif”, infiltre la police pour le compte du même gang. Nous retrouvons très régulièrement cet affrontement entre les apparences et la réalité ainsi que cette discrimination et cette xénophobie. Peut-être pouvons-nous y deviner une expérience personnelle ? Enfant fragile, bridé dans vos activités de petit garçon par un asthme fortement prononcé, votre maman, très protectrice à l’image que l’on se fait de la mama italienne, vous amenait au cinéma pour vous distraire. C’est ainsi, plus ou moins contraint, que démarrera votre histoire avec le cinéma.

Ce qui m’accroche le plus chez vous, c’est peut-être cette passion pour la passion. Très jeune, animé par la foi, vous avez voulu devenir prêtre. Cependant, et fort heureusement, pour le 7ème art et pour moi, fidèle admiratrice et amoureuse de vos travaux, votre jeunesse (14 ans) et votre caractère de forte tête vous feront exclure du sein de l’église. Mais vous resterez un homme spirituel en vous dirigeant vers la méditation transcendantale une poignée d’années plus tard,ce qui vous amènera à mener des actions en faveur de la cause pour le Tibet. Peu après cette exclusion du domaine de Dieu, vous vous dirigerez alors vers l’Université de New-York où vous avez étudié, puis enseigné. Puis l’appel de la réalisation prit le dessus. Après quelques essais derrière la caméra, premier choc. Main Street (1999). L’histoire se déroule dans des rues que vous connaissez bien, celles de Little Italy, lui donnant sur écran une valeur plus authentique, arpentées par deux personnages hauts en couleur, dont Johnny Boy, interprété par un jeune Robert De Niro, commençant à peine à se faire connaitre. Ce film porte déjà la signature reconnaissable d’un Scorsese. Il est ahurissant. Ce qui m’y a plus marqué, ce sont ces scènes de la vie quotidienne, ces regards, ces choses qui échappent aux yeux de l’homme pressé, qui sont filmés avec une superbe qui donne à la misère une séduction étrange, presque dérangeante.

Vous ne faites pas qu’aimer la passion. Vous êtes la passion. Votre culture cinématographique est immense, profonde, écrasante. Vous connaissez tout. Vous avez tout vu. Robert de Niro disait à propos de vous : «  Marty mange, boit et dors avec les films. J’ai même entendu qu’il faisait l’amour aux films.  ». Vous voulez rendre hommage au cinéma et à ses piliers oubliés, comme nous avons pu récemment le constater avec le merveilleux Hugo Cabret (2011), malheureusement peu apprécié par le grand public. Vous avez réalisé des documentaires Un voyage avec Martin Scorsese à travers le cinéma américain, Mon voyage en Italie Vous avez fondé The Film Foundation afin de préserver les grandes œuvres jonchant l’histoire du cinéma. Vous tracez un profond sillon dans cet art, avec toujours cette envie furieuse de dépasser les limites, de s’inscrire.

Vous êtes une tête brulée. Vous aimez les têtes brulées. Taxi Driver (1976), qui vous fit gagner la Palme d’Or et qui fit définitivement de vous l’un des géants cinématographiques de ce siècle, le démontre. Travis Bickle (Robert De Niro), héros malgré lui, effaré par la décadence de la société, était pourtant lui-même perturbé et refoulant des instincts meurtriers. Vous avez toujours, et c’est bien là ce qui ressort le plus dans vos films, été séduit par l’attraction que peut susciter le “mal”. Vous aimez aller toujours plus loin. Peu après la fin du tournage de ce film, vous avez commencé à tâter la drogue. La cocaïne, pour doper votre créativité. Vous aviez l’impression que vous pouviez réaliser cinq films à la fois ! Petit à petit vous êtes devenu dépendant. Vous passiez parfois plusieurs journées au lit, pour faire récupérer votre corps brisé, épuisé. Vous êtes devenu accro, terriblement accro. « Je ne ferais pas plus d’interviews tant que je n’aurais pas ma cocaïne ! ! » Sempiternellement en colère, angoissé, agressif. Repoussant vos proches. Cercle infernal. Drogue pour aller mieux, alcool et médicaments pour oublier la drogue, fatigue, soirées pour repousser la fatigue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Drogue. Mort. Déchirer votre corps. « Je voulais pousser jusqu’au bout, jusqu’à la toute fin du chemin, pour voir si je pouvais mourir… » Hémorragie interne massive. Noir.

Un matin vous vous êtes réveillé dans votre lit d’hôpital. La lumière vous blessait les yeux. Vous veniez de sortir de deux ans de gouffre. Plus jamais vous n’avez touché à la cocaïne depuis.

Cette expérience, cette balafre de votre vie, vous l’avez exploitée dans l’excellent Raging Bull (1980). Dans un épouvantable état mental et physique, vous vous êtes mis difficilement à l’ouvrage mais vous avez reçu l’inébranlable soutien de votre ami et acteur fétiche, Robert De Niro. Ce chef-d’œuvre en noir et blanc, élu en 1990 par les critiques américains « Meilleur Film de la Décennie » retrace la vie du boxeur Jack La Motta, entre éclat de gloire, déchéance et damnation.

Vous ne faites pas qu’aimer d’amour fou le cinéma, vous êtes également un dingue de musique, multipliant les références, rythmant les plans, accompagnant les acteurs dans leur plongée dans la psychologie noire et tortueuse de vos personnages. Il se dit même que vous faites passer de la musique sur vos tournages pour que chaque personne de l’équipe vibre de concert avec vous, saisisse l’esprit du film instinctivement. C’est vous, c’est bien vous, ce besoin de proximité. Caméra à l’épaule, plans virevoltants, effleurant vos personnages. Les pieds dans le caniveau. Très attaché à la ville de New-York, comme nombre de réalisateurs, même d’artistes de manière générale, vous en filmez le trottoir, les bas quartiers, le bitume foulé par les petites frappes en manque de repères. Pas de vanité, juste de l’intérêt pour ceux qui sont nés dans la boue.

Avec les œuvres majeures auxquelles vous avez fait voir le jour, on pourrait s’attendre à ce que les trophées les plus prestigieux s’accumulent sur vos étagères. 89 récompenses, au total, dont 6 Oscars, 2 Golden Globes, 2 Palmes d’Or, ainsi que le prix Spécial de l’American Film Institute pour l’ensemble de votre filmographie. Vous faites également décerner la récompense à ceux avec qui vous travaillez. Nombreux sont les Oscars que vous avez fait gagner à vos acteurs. Ellen Burstyn dans Alice n’est plus ici, Robert de Niro dans Raging Bull, Paul Newman dans La couleur de l’argent… Mais également votre fidèle monteuse Thelma Schoonmmaker qui a reçu trois Oscars à elle toute seule.

Vous avez dit « Je ne peux pas vraiment imaginer qu’un jour j’arrête de filmer.  » Cette phrase a fait mon bonheur. Puissiez vous avoir la vie la plus longue possible dans ce cas ! Cet été vous allez vous emparer de New-York pour tourner votre prochain film The Wolf Of New-York pour votre 5ème collaboration avec Léonardo DiCaprio, le successeur de Robert De Niro. Ces deux hommes, des monuments de l’acting, sont vos alter-égo à l’écran. Parlons-en tiens, de vos relations avec vos acteurs. Attentif à leurs remarques, autant collègues de travail qu’amis dans la vraie vie, vous êtes loin d’être ce cliché du réalisateur tyran et vindicatif. Lorsque vous prenez la parole, votre voix court, empressée, dans un flot de paroles ininterrompues, une cascade de mots. Vous êtes un homme vif. Chacun dit de vous que vous êtes très impliqué dans vos films, chose rare dans le cinéma américain qui contrairement à la caractéristique du cinéma français, fonctionne comme une grosse usine, où le “director” n’est qu’un pion. Vous faites partie de cette génération de réalisateurs qui ont su s’imposer, aux côtés de Francis Ford Coppola, Steven Spielberg, Brian De Palma, George Lucas, Woody Allen et Clint Eastwood.

Vous êtes un boulimique de la vie. Avec vous, tout se doit d’être vif, profond, douloureusement vivant. Pour toucher cette vie vous ne faites pas de détours ambigus, vous ne vous perdez pas dans des méandres pseudo-esthétiques, non, vous n’êtes pas de cette veine là. Certains, étouffés dans leur pudeur, critiqueront votre mise en avant de la violence. La qualifieront d’abusive. Non, je ne crois pas, non. Ce n’est pas de l’étalage malsain, c’est un discours cru, de la franchise. Vous êtes franc avec le spectateur. Vous l’avez toujours été. Et par cette franchise vous saisissez dans vos bras nos tripes et vous nous emportez dans le tourbillon de vos histoires.

Vous êtes un génie, un géant, un virtuose, un ancien, un artiste, un conteur, un homme solide et balafré.

 Vos films sont à votre image, avec une présence masculine dominante, des chemins torturés, une virilité, une sorte de vérité suintante, omniprésente.

Et c’est pour tout ça, pour tout ce que vous êtes, tout ce que vous aimez, tout ce que vous nous offrez, que je vous le dis…

Je vous aime.

Pépin.

héhéhé... (⁰ ◡ ⁰ ✿)

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