Dimanche 27 mai. Dernier jour de la 65 ème édition du festival de Cannes, un vrai déluge s’abat sur la croisette – en fait, il ne l’a pas vraiment quitté depuis l’ouverture du festival -. Dès 19h, la remise des prix lors de la cérémonie de clôture a lieu au Grand Théâtre Lumière avec la maîtresse de cérémonie Bérénice Bejo, accompagné du jury, composé de Nanni Moretti (président du jury), Diane Kruger, Emmanuelle Devos, Jean Paul Gautier, Alexander Payne, Ewan McGregor, Andrea Arnold, Hiam Abbass et Raoul Peck. Il faut avouer qu’après le cru exceptionnel 2011 en terme de qualité et ce, parmi toutes les sélections confondues, en réalité c’est la meilleure sélection depuis 10 ans ! – rappelez-vous, l’année 2001 fut fantastique avec Mulholland Drive, Moulin Rouge, Millennium Mambo, Le Pianiste, The Man Who Wasn’t There, Va savoir, Distance, Kaïro, Avalon et tant d’autres -. C’est pourquoi le festival de Cannes 2012 pouvait difficilement éviter, en comparaison, un jugement global plutôt négatif.
Cette année sur la Croisette, les films en compétition ont souvent traité de quêtes d’amour, de mise en abyme, le tout servi sur un arrière-plan de crise économique. Cette édition vu également concourir un grand nombre d’adaptations littéraires, avec, sur les 22 films en compétition pour la Palme d’or, huit tirés de romans et un d’une pièce de théâtre, alors que les films issus d’une adaptation n’étaient que trois l’année précédente. Ceci dit, parmi Vous n’avez encore rien vu d’Alain Resnais, Sur la Route (du plus célèbre ouvrage de l’icône de la Beat-génération : Jack Kerouac), Cogan – La Mort en douce (d’après L’art et la manière), Des hommes sans loi (d’après Pour quelques gouttes d’alcool), Confessions d’un enfant du siècle, Crime et châtiment, Les liaisons dangereuses, les Aventures d’Ernest et Célestine, mais aucune de ces adaptations n’aura finalement convaincu.
Et la tant prestigieuse et convoitée Palme d’or est attribuée à … Michael Haneke pour Amour ! C’est un long métrage touchant qui raconte l’histoire d’un couple de personnes âgées, – joué par Jean-Louis Trintignant, 81 ans et Emmanuelle Riva, 85 ans, tous deux exceptionnels -, qui dans la vieillesse et la maladie, essayent de continuer de s’aimer. Ainsi, Haneke vient de rentrer dans la confrérie très fermée des « doubles palmes d’or » ! Lors de la remise, Jean-Louis Trintignant, qui ne se consacré plus qu’au théâtre, fait des exceptions pour des films signés Haneke, il a déclaré entre autre que, pour lui, ce dernier fait partie des plus grands réalisateurs vivants. Continuons, le prix de l’interprétation masculine a été remis à Mads Mikkelsen, incarnant un homme accusé de pédophilie dans La Chasse de Thomas Vinterberg, le cinéaste Danois – ami de Lars Von Trier avec qui il a fondé en 1995 le Dogme95 – avait par ailleurs reçu le Prix spéciale du Jury à Cannes en 1998 avec Festen.
Passons à La Caméra d’or, elle est décernée au magnifique Les Bêtes du sud sauvage de Benh Zeitlin qui avait remporté le Grand Prix de Sundance il y a 4 mois. Reality de Matteo Garrone repart avec le Grand Prix, soit tout de la Palme d’or alors qu’il a essuyé de nombreuses déceptions au près des critiques, ces derniers se plaignant de ne pas avoir retrouvé la qualité de son précédent film Gomorra, sorti en 2008. Au-delà des collines de Cristian Mungiu a remporté le prix du scénario et le prix d’interprétation féminine pour deux de ses actrices principales Cristina Flutur et Cosmina Stratan. Inspiré d’un fait divers qui fit scandale en Roumanie, le film offre une nouvelle radiographie de la société roumaine. Une société plus actuelle que celle de 4 mois, 3 semaines, 2 jours – Palme d’or 2007 – qui se dessine pourtant comme un pays morcelé, conservateur et archaïque, entre l’administration inquisitrice, la famille démissionnaire, les hôpitaux bondés, les orphelins miséreux, les jobs précaires, ou encore l’Église sectaire et infantilisante.
Les Etats-Unis et la France sont les grands oubliés de cette édition. Côté US, Moonrise Kingdom de Wes Anderson, film d’ouverture du festival, a séduit presque tout le monde tandis que Paperboy de Lee Daniels a été le plus mal accueilli, sans oublier Sur la Route de Water Salles, que l’on pourrait qualifier de presque Américains par sa distribution a fait un parfait mauvais film de clôture. Une certaine déception a été ressentie également chez nous. Entre le De Rouille et d’Os de Jacques Audiard dont l’absence au palmarès est une demi-surprise, Vous n’avez encore rien vu d’Alains Renais qui porte mal son titre, la surprise du festival fut Holy Motors de Leos Carax. Ce film tient davantage du happening cinématographique, de la performance conceptuelle, que d’une fiction au sens large du terme. Il est dommage que le cinéma le plus radical n’ait eu droit qu’à un prix, celle de la mise en scène est allée à Post Tenebras Lux de Carlos Reygadas, un film aux images les plus marquantes, au détriment du scénario. Nous regrettons également qu’un prix d’encouragement tel que le prix du jury a été attribué à La part des Anges d’un cinéaste comme Ken Loach, palmé il y a cinq ans et dont le cinéma est constant depuis dix ans.
Plus qu’un élixir du meilleur du cinéma de l’année à venir, plus qu’un délicieux hommage au 7ème Art, le festival de Cannes, qui vient de souffler son 65ème bougie est avant tout une fenêtre sur le monde ; le Cinéma permet de nous éclairer sur ses passions et ses maux, sans pour autant délaisser par sa beauté et son humanité.