Peut-être l’avez-vous déjà lu, et pour cause : Juste Avant, de Fanny Saintenoy, est un petit roman récent, publié à la rentrée littéraire de septembre 2011 chez Flammarion.
Juliette, 95 ans, est étendue sur son lit de mort. Les yeux clos, la respiration hésitante, le corps transi, elle attend. Mais elle n’est pas seule. Fanny, âgée de 30 ans, son arrière-petite-fille, veille. Elle aussi attend. Le dialogue n’est pas engagé directement entre les deux protagonistes mais par le biais d’une double énonciation : vous reconstituez cet échange qui n’aura pas lieu. En effet, Juliette et Fanny sont proches physiquement, mais uniquement liées par la pensée et leur passé commun. Simple mais bien pensé.
Alors que la femme “moderne” interroge son ancêtre : “Granny, ma vieille pomme, à quoi penses-tu ?“, cette dernière parcourt une dernière fois son impressionnante mémoire.
L’antithèse fonctionne : les deux femmes, comme deux mondes séparés de quatre générations, parlent au lecteur de leurs problèmes personnels et des angoisses de leur époque respective. L’arrière-grand-mère redevient alors un temps la petite fille passive, un peu fragile et impressionnée par sa mère, distante et froide.
Regards croisés : les chapitres alternent, polices de caractère et points de vue également. Les réminiscences sont autant de détails sur les deux enfances respectives, dont la confrontation frise parfois le manichéisme, puis sur les étapes suivantes de leurs vies.
Vous serez entre autres plongés dans l’allégresse des festivités du Sud-Ouest, les sens en éveil ; les odeurs enivrantes rappelant chacune des moments d’une existence simple et gaie, bien remplie, partagée entre deuils et plaisirs frugaux. Les commentaires légers et parfois décalés de Juliette ponctuent un récit authentique et savoureux, entre “joie et mélancolie”, dont on voudrait qu’il perdure.
Quant à Fanny, jeune globe-trotteuse, cette veille “pré-mortem” fait figure de pause dans la vie active (et non sans tracas) qu’elle mène chaque jour. Chacun des deux personnages prend son temps face à l’inéluctable. Car le thème central de ce récit, c’est bien l’étape (ultime ?) d’une vie : la mort. Deux êtres sont en effet parvenus au carrefour de leurs vies. Ici, la fatalité est acceptée, dédramatisée. Les doutes s’estompent à mesure que la narration progresse : plus l’issue finale se rapproche et plus l’apaisement s’installe, au détriment de l’appréhension. Peur qui subsiste néanmoins, inévitablement.
On pourrait bien sûr faire un rapprochement avec Baudelaire et son Spleen et Idéal, dont le poème La Servante au grand cœur est cité d’emblée en préliminaire et qui rappelle le malaise des vivants, égoïstes, à l’égard des morts, mais également la chaleur et la nostalgie de l’enfance.
Une multitude d’objets accompagne le fil des anecdotes : ils sont autant de sésames qui ravivent la mémoire douloureuse de la quasi-centenaire, alors que Fanny, tente, en vain, de lui imaginer une vie plus édulcorée, le cliché d’une mamie plus classique mais épanouie que la guerre n’aurait pas déchirée.
Daniel Pennac le qualifiait de « beau et juste texte, d’une gaieté étrange ». Sans cette élégance ni cette concision, j’ai trouvé qu’il mettait le lecteur face à la valeur inestimable de la vie. Vie qu’il ne faut en aucun cas gâcher. Une incitation au Carpe Diem !
Sa longueur, très réduite (une centaine de pages à ce format, ça se dévore !) ne pourra pas vous rebuter ! Entre deux révisions d’examen, c’est une pause lecture des plus récréatives, que je souhaite pour vous aussi agréable qu’elle fût pour moi !