SOCIÉTÉ

Le génocide arménien : la loi mémorielle française qui fait débat.

Lundi 23 Janvier était votée au Sénat la loi qui interdisait l’abnégation du génocide arménien par les turcs. Un génocide, c’est une extermination physique intentionnelle et programmée d’un groupe de personnes en fonction de leur origine ethnique, sociale ou religieuse. C’est donc l’occasion de revenir sur cet évènement marquant du XXe siècle.

Pour bien saisir les faits, il faut remonter à la fin du XIXe siècle, au moment où des groupes nationalistes arméniens ont vu le jour, réclamant l’égalité des traitements entre turcs et arméniens et l’indépendance, pour les plus extrémistes, puisque le royaume d’Arménie n’existait plus depuis les conquêtes arabo-musulmanes du Moyen-Age et que les arméniens vivaient en majorité à l’Est de l’empire Ottoman (la Turquie actuelle), les autres habitant en Russie.  A la tête de l’empire Ottoman se trouve alors un sultan nommé Abdul-Hamid II, très controversé. L’empire étant extrêmement affaibli, notamment à cause des conflits avec ses voisins, de nombreux mouvements nationalistes y naissent, dont un appelé le Comité Union et Progrès. Ses partisans sont “les Jeunes Turcs“, ils ont pour objectif de créer un état moderne et sont soutenus par la plupart des arméniens qui espèrent l’indépendance et une meilleure entente avec les turcs. Cependant, comme tout état en crise, l’empire cherche des ennemis et lors de l’année 1894, 200 000 arméniens sont massacrés sur les 2 millions qui vivaient alors dans l’empire Ottoman. Abdul-Hamid II est alors surnommé “le sultan rouge” par le monde occidental. En 1908, il est renversé par les Jeunes Turcs et Enver Pacha devient le nouveau chef de l’Empire Ottoman.  Il se révèle être extrêmement  nationaliste et refuse l’indépendance de l’Arménie et en 1909, 30 000 arméniens périssent dans un nouveau massacre organisé par les Jeunes Turcs.

Abdul Hamid II " Le sultan rouge"
Abdul Hamid II ” Le sultan rouge”

En novembre 1914, l’empire Ottoman est contraint par l’Allemagne de rentrer en guerre à ses cotés puisque c’est elle qui finance son armée. Son principal ennemi est la Russie, contre laquelle elle subit une grande défaite en janvier 1915. Les turcs profitent alors de cette défaite pour “régler le problème arménien”, et, sous prétexte que les arméniens désertent l’armée, travaillent pour les russes et qu’ils présentent une menace pour la sécurité de l’empire, commencent une vague de déportation dès Février 1915. Ils éliminent d’abord les soldats, en les envoyant en première ligne ou en prison, puis l’élite de la population (médecins, professeurs, avocats…) en avril 1915 et enfin l’est du pays de Mai à Juillet 1915. Les hommes sont exécutés tandis que les femmes et les vieillards sont déportés dans des camps, vendus comme esclaves. Les enfants sont quant à eux islamisés dans des familles turques, puisque les arméniens sont chrétiens. Au total, environ 870 000 arméniens ont été déportés et 2/3 d’entre eux soit 580 000 sont morts.

En 1919, après la défaite de l’empire Ottoman,  les Jeunes Turcs quittent le pouvoir. La justice turque condamne à mort leurs chefs par contumace, puisqu’ils se sont tous exilés à la fin du conflit. Elle reconnait donc le massacre de la population arménienne, mais à cette époque le nom de génocide n’existe pas. En 1920, suite aux traités de Sèvres, la Turquie perd des territoires et le pays d’Arménie est créé.

En 1987, le Parlement Européen reconnait le génocide arménien, la question est donc réouverte lors de la demande de la Turquie pour rentrer dans l‘Union Européenne. Le gouvernement turc nie ce génocide, il parle de massacre et de “déportations nécessaires pour la guerre”,  minimise le nombre de victimes, responsabilise les arméniens et ne reconnait pas l’anticipation du massacre, nécessaire pour un génocide,  pour plusieurs raisons. Tout d’abord, morale, cette décision est lourde à assumer pour un état, et puis financière, puisque des compensations devront être reversées aux victimes. En 2005, la Turquie change son code pénal dans lequel on peut désormais lire : “condamne tout acte contraire à l’intérêt de la nation” , sous peine de 3 à 10 ans d’emprisonnement.

En France, le génocide est reconnu depuis 2001, comme dans la plupart des pays occidentaux. En Décembre 2011, une nouvelle loi, qui sera votée en Janvier 2012, voit le jour et  pour but “la répression de la contestation de l’existence des génocides reconnus par la loi“. Cette loi ne vise donc aucun génocide en particulier mais une loi semblable existe déjà depuis 1990 pour le génocide des juifs par les nazis.

Manifestations contre cette loi, devant l'Assemblée Nationale.
Manifestations contre cette loi, devant l’Assemblée Nationale. (@JDD)

Cette loi fait débat pour plusieurs raisons. Comme toutes les lois proposées en ce moment, période présidentielle,  on peut la considérer comme une récupération politique puisque plus de 500 000 arméniens vivent en France. De plus, cela nuit aux relations entre la France et la Turquie, pays émergent et où beaucoup d’entreprises françaises telles que Renault se sont implantées, et sa coopération militaire. Mais c’est principalement d’un point de vue historique que cette loi dérange. Comme toutes les lois mémorielles, elle impose une mémoire et une lecture de l’histoire où l‘historien est remplacé par le politicien.

Etudiante en science politique à Lille et passionnée de musique.

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